Lors des deux premières journées pyrénéennes, Remco Evenepoel a perdu du temps face à presque tous ses adversaires. S’il a limité la casse de manière admirable sur plus de 50 kilomètres vers Hautacam hier, il a bien dû se rendre à l’évidence que ce n’était pas juste un « jour sans ».
Dans le chrono montagneux de cette 13e étape vers Peyragudes, l’ancien vainqueur de la Vuelta a perdu gros. Onzième de l’étape à presque 2 min 40 d’un Pogacar surpuissant, Remco n’a été que l’ombre de lui-même, au point de se faire même doubler dans les derniers rempaillons par un Jonas Vingegaard qui, lui, a bien limité les dégâts face au Slovène.
C’est un coureur marqué par l’effort et surtout la déception qui s’est présenté sur le podium et face à la presse, à la fois gênée de devoir le questionner et en même temps curieuse des raisons de ce camouflet. Le double champion olympique reste malgré tout dans la course au podium puisqu’il est encore sur la troisième marche… mais avec seulement six petites secondes d’avance sur la révélation allemande, Florian Lipowitz.
Dans un état second devant nos confrères de la RTBF, il ne savait pas dire exactement à quoi il pensait. Il s’agit certainement, à ce jour, de sa plus grande déconvenue sportive. Mais pour un p’tit gars qui est revenu trois fois d’accidents presque mortels, il peut être satisfait de ce qu’il montre. Aux yeux du monde, il reste un prodige que l’on espère voir aller encore bien plus haut. Il le mérite pour tous les combats qu’il a déjà menés lors de sa jeune carrière. Rappelons que le Brabançon n’a que 25 ans.

QUELLE SUITE DONNER A CE TOUR DE FRANCE ?
Revenons à nos moutons. Prosaïquement, le jeune Belge reste le 3e homme de cette Grande Boucle. Il est toujours dans la lutte pour le podium. Mais en même temps, sa forme ne semble plus ascendante. Quel choix doit-il opérer alors qu’il reste une très grosse et très lourde semaine avant d’arriver sur les Champs-Élysées ? Difficile de se positionner tant il nous manque d’éléments de réponse – que Remco n’a peut-être pas non plus.
Doit-il changer son fusil d’épaule et abandonner sa chance de briguer une deuxième 3e place pour enfiler son costume de chasseur d’étapes, comme il l’a fait sur la Vuelta 2023 ? Une chose est sûre : dans sa lutte pour la troisième place, il bride son tempérament offensif et court à contre-nature.
Face à un Pogacar invincible et surprenant par moment, qui connaît depuis 2024 un pic de forme éternel et parfois surnaturel, même après une chute (!), on se doute que dans la tête de Remco tout doit se bousculer.
Sa seule victoire aujourd’hui est probablement le tweet d’un de ses plus grands détracteurs à ses débuts, le controversé Antoine Vayer, qui le considère finalement comme un honnête cycliste faisant son métier face à des mutants ! Ca prête évidemment à sourire quand on connait les antécédents entre les deux hommes, mais on rappelera quand même que Remco a construit son palmarès à force d’un travail acharné à l’entraînement, ce qui était aussi loué par son ancien manager, mais également par ses coéquipiers.

PRENDRE EXEMPLE SUR CADEL EVANS
Et si Remco se consolait en prenant le cas de Cadel Evans en exemple ? Pour rappel, Evans a dû faire face à des coureurs comme Armstrong, Contador et Schleck, qui dominaient leur époque. Evenepoel, lui, est confronté à Pogačar, un coureur qui semble presque imbattable, capable d’exceller en montagne, en contre-la-montre et même dans les classiques. La domination de Pogačar est telle que même un talent comme Evenepoel, comparé à Cadel Evans doit attendre une défaillance ou un changement de dynamique pour espérer s’imposer.
Contrairement à Evans, qui a dû attendre ses 34 ans pour triompher, Evenepoel a encore du temps devant lui. À 25 ans, il est déjà parmi les meilleurs coureurs du monde, et sa troisième place au Tour 2024 prouve qu’il peut rivaliser pour le podium. Cependant, la domination de Pogačar (27 ans) et Vingegaard (28 ans) représente un « plafond de verre » difficile à briser.
Comme Evans, Evenepoel devra peut-être attendre que ses rivaux déclinent ou que des circonstances (chutes, tactiques, parcours favorable) jouent en sa faveur. Son travail sur l’aérodynamisme, sa puissance brute et son mental de champion (illustré par ses retours après blessures) laissent présager qu’il pourrait, à terme, rejoindre Evans dans le cercle des vainqueurs du Tour, ce qu’il doit absolument se convaincre dans les jours, les semaines et les mois à venir, car s’il existe bien une constante dans le cyclisme, c’est que la roue peut très vite tourner. Plus vite encore qu’on ne le croit.
Ce n’est pas à nous, simples journalistes officiant en dehors de son équipe et de son entourage proche, de prendre les décisions (heureusement). Mais nous pouvons seulement lui souhaiter de faire le meilleur choix pour lui pour le restant de ce Tour, et qui sait, peut-être de mettre la pagaille pour offrir à tous ses supporters – et à lui-même – une sortie de Tour à la hauteur de son talent.
Article co-signé par Matthieu Henroteaux et Olivier Gilis

Photo d’illustration : © A.S.O./Billy Ceusters