À bien des égards, cette 11e étape du Tour de France aura été rocambolesque. Aussi bien dans la lutte pour la victoire du jour que dans la bataille au classement général.
Si Jonas Abrahamsen mérite amplement son succès, arraché au terme d’un effort héroïque avec ses compagnons d’échappée, il a surtout résisté à un retour presque irréel de Mathieu van der Poel dans le dernier kilomètre. Un final haletant.
Mais à l’arrière, une autre histoire s’écrivait : celle de Tadej Pogacar. Le champion du monde a vécu une journée loin d’être tranquille. Chahuté, il a même chuté dans les derniers hectomètres alors que la bagarre entre favoris faisait rage. Pourtant, au final, le Slovène ne perd rien au classement. Mieux encore, le peloton des favoris s’est arrêté pour l’attendre.
L’incident s’est produit juste après que Jonas Vingegaard ait dynamité le groupe des leaders dans la dernière ascension. Un peu plus loin, Pogacar accroche la roue arrière de Tobias Halland Johannessen. Ce dernier, très sport, s’est confondu en excuses après l’arrivée. Mais ce n’est pas tant sa faute que l’on retient : c’est la réaction du groupe des favoris qui intrigue.
Ilan Van Wilder a raconté au micro de certains confrères que c’est Remco Evenepoel lui-même qui aurait crié « stop » à trois reprises, demandant au groupe d’attendre Pogacar. Un geste de fair-play, certes. Mais était-il vraiment nécessaire ?
Car Pogacar est tombé sur un fait de course, pas à cause d’un élément extérieur (pas de chien sur la route, ni de moto mal placée). Et s’il existe une règle tacite dans le peloton — ne pas attaquer le maillot jaune à terre — Pogacar, rappelons-le, n’est pas en jaune. Il est actuellement deuxième du général.
Alors pourquoi ce traitement particulier ? Pourquoi cette intouchabilité ?
Serait-ce son statut, son aura, qui le place au-dessus des lois non écrites du cyclisme ? Difficile à croire. Prenons un exemple. Si Remco Evenepoel, multiple champion du monde du contre-la-montre, chute lors d’un chrono, imaginerait-on neutraliser l’étape pour lui permettre de repartir sans perdre de temps ? Ce serait impensable. Et pourtant, Pogacar, lui, est attendu.
Pourquoi ? Par peur ? Par respect excessif ? Par résignation face à la domination d’UAE Team Emirates ? La question mérite d’être posée. Car en agissant ainsi, le peloton semble renoncer à une part essentielle de ce qui fait le sel de la course : l’opportunisme, la stratégie, la lutte à armes égales.
Allons même un peu plus loin … si Remco Evenepoel ou un autre membre du top 10 avait chuté aujourd’hui, comme Vauquelin ou Lipowitz par exemple, aurait-on également attendu ? Rien n’est moins sûr, la probabilité est même nulle car tous les coureurs ne bénéficient pas d’un tel fair-play. Attendre un favori comme Pogacar, mais pas un coureur lambda dans une situation similaire, n’est-ce pas une application inéquitable des codes du peloton, favorisant les leaders au détriment des autres ?
Une hypothèse à ne pas sous-estimer également est la peur du « qu’en dira-t-on ». A l’heure des réseaux sociaux, les coureurs tiennent à leur image et il suffit de voir la vague de haine que subit en ce moment le pauvre Tobbias Johannessen à l’origine de la chute de Tadej Pogacar pour comprendre l’ampleur du phénomène.
Certains crieront au fair-play, un geste noble qu’on ne voit qu’en cyclisme et qui fait la grandeur de ce sport (sic), mais la parfaite conclusion revient à Ilan Van Wilder lors de son interview d’après-course :
‘Je pense que c’est important de montrer du fair-play. J’espère par contre que tout le monde fera de même si un jour ça nous arrive.‘
Mais quelque chose cloche, oui ! Et cette 11e étape, en plus de son suspense haletant, laisse un drôle de goût dans la bouche. Une impression persistante que l’équité sportive pourrait, parfois, céder le pas à la crainte ou à l’admiration. Bref, quelque chose ne tourne pas rond pour l’instant au sein du peloton !
Il y a un nouveau shérif en ville, et il n’est plus américain cette fois !
