Je prends la plume en ce mois de juillet, alors que le Tour de France bat son plein, pour dénoncer quelque chose d’éminemment pernicieux, mais pourtant bien présent au sein du peloton : la naïveté, l’enthousiasme et la crédulité de ces dernières années ne sont plus.
Au cœur du peloton vit une animosité palpable. Elle concerne les chutes à répétition, certains coureurs qui roulent sans raison apparente pour d’autres équipes, mais surtout la lassitude de voir toujours les mêmes lever les bras ainsi que le retour d’une forme de suspicion entre les coureurs.
Nous nous trouvons à nouveau à un moment charnière, un moment tendu où nous sommes en proie aux doutes. Depuis les Strade Bianche de l’an dernier, et les classiques printanières, le même scénario se répète inlassablement. Certains s’imposent sur les courses d’un jour, tandis que Tadej Pogačar court partout, tout le temps, et continue de s’imposer… et les records de vitesse tombent les uns après les autres.
Outre ce côté lassant, voire monotone, sur des courses de renom, quelque chose s’est brisé entre le public et les coureurs, principalement avec Tadej Pogačar. L’intention n’est pas ici de lui faire un procès d’intention ou d’accuser sans preuve, mais dans sa manière d’être, de réagir et de courir, il existe un frémissement désagréable que le Slovène est devenu réellement intouchable.
LA PRESSE DANS LE VISEUR
La bonhomie du personnage public qu’il affichait a laissé place à de l’arrogance, voire à un manque de respect et même du mépris vis-à-vis du public, des adversaires, de la presse ainsi que des organisateurs. Depuis le Dauphiné qu’il a écrasé, il ne feint plus rien et laisse aller un phrasé pas toujours réjouissant à entendre. ‘ J’ai ralenti dans le dernier km pour pouvoir faire moins de home trainer et passer moins de temps avec la presse ‘ ; ‘ j’ai accéléré pour voir l’arrivée de ma compagne sur la course féminine ‘, etc., ont été certaines des phrases prononcées en juin dernier. Ajoutez à cela un air agacé, moins de sourires sur les podiums, et vous obtenez une salve de critiques médiatiques lors du Dauphiné.
Mais la leçon n’a pas été retenue, juin a fait tache d’huile sur juillet : au soir de la 10e étape, Pogi s’est fendu de nouvelles piques dont nous nous serions bien passés. Il s’est dit que ‘ c’est bien de ne pas avoir de maillot jaune ‘, avant de préciser sans ambiguïté le fond de sa pensée : ‘ honnêtement, j’ai surtout hâte de ne pas parler à la presse ‘. Est-ce là la grandeur d’un monarque qui dit vouloir marquer l’histoire de son sport.
Lors du même opus, il s’en est également pris à la stratégie de l’équipe de Vingegaard : ‘ les Visma étaient un peu agaçants avec toutes leurs attaques, alors j’ai décidé de faire une meilleure attaque.’ Pas plus tard qu’hier à l’issue du l’étape du Mont Ventoux, il s’est permis une autre sortie dont nous aurions certainement pu nous passer. Des propos repris par la RTBF et qui, en substance, disent à peu près ceci après avoir pulvérisé de plus d’une minute le record de la montée du Mont Chauve (détenu jusque-là par Iban Mayo…) : ‘Vingegaard a beaucoup attaqué, mais je savais que je pouvais le suivre et rester dans la roue. Je n’avais pas besoin de me ‘surengager’, je ne voulais pas en faire trop pour risquer une contre-attaque de Jonas derrière. Je ne voulais pas me faire mal aux jambes. Je suis monté à mon rythme.‘
Parfois irrité et sans modestie, que cherche-t-il à provoquer au juste ? Ne pas vouloir se faire mal aux jambes alors que l’intéressé s’adjuge le record de la montée du Ventoux en 54’41″, on reste pantois devant tant… d’humilité, et de respect pour son adversaire !
UNE SURDOSE DE CONFIANCE DEPUIS MARS 2024
Après s’être adjugé la seconde place au Tour de France 2023 derrière Jonas Vingegaard, un vent nouveau semble souffler pour Pogacar. Comme si cette deuxième place était celle de trop. Dans son attitude, quelque chose a changé. Que s’est-il passé entre le Tour de Lombardie qu’il remporte et la nouvelle saison débutant au Strade Bianche en mars 2024 ? C’est un réel mystère. Mais le voici s’adjugeant la course des chemins blancs italienne avec un raid de pas moins de 80 km ! Avec une avance de presque 3 minutes sur le vainqueur sortant, un certain Thomas Pidcock dont la tête à l’arrivée masquait mal son incompréhension.
Quelque chose a visiblement changé, mais quoi ? Tadej Pogacar se sent tellement intouchable qu’au Tour de Catalogne, toujours durant ce même mois de mars, il se cache dans les buissons pour faire un besoin naturel et duper le peloton avant de s’imposer… surréaliste.
S’en suivra une déclaration peu de temps après qui ne laisse alors place à aucun doute, Tadej sent qu’il est dorénavant le meilleur coureur du monde, et il l’affirme sans détour au Parisien : ‘ Je suis arrivé à un point maintenant où j’aspire à être le meilleur. Je veux être le meilleur de l’histoire ‘ !
J’ai employé dans un de mes derniers papiers l’expression « tyran slovène », ce n’était pas un hasard. S’il veut régner sur le peloton et le cyclisme mondial comme il l’explicite, il doit pouvoir faire preuve de modestie, mais aussi accepter d’être testé et contesté. Sans cela, il restera un tyran sans couronne, honni des supporters et de la presse.
Matthieu Henroteaux

Photos : © A.S.O./ Charly Lopez
