Longtemps, l’obscurité s’est abattue sur Cian Uijtdebroeks. Entre problèmes physiques difficilement décelables, chutes, accidents, la pépite belge de Visma – Lease a Bike a dû s’accrocher à un espoir — que certains voyaient vain — pour revenir au plus haut niveau.
Même au sein de la rédaction, nous ne savions pas trop comment nous positionner face à un coureur au talent immense, mais qui semblait parfois au fond du trou, sans les ressources mentales nécessaires pour refaire surface. Nous n’avons jamais été aussi heureux de nous tromper. Lui n’a jamais perdu foi en sa force.
Non, le Padawan a longtemps mangé son pain noir avant de réapparaître en pleine lumière. Et de quelle manière ! Déjà en marge de la Clásica San Sebastián, il avait prévenu : les sensations à l’entraînement étaient bonnes. La classique basque, conclue par une 9e place, confirmait le diagnostic du Hannutois. Mais qui aurait imaginé que, moins d’une semaine plus tard, sur les routes du Tour de l’Ain, il décrocherait ses deux premières victoires professionnelles ?
UNE VICTOIRE D’ÉTAPE ? UNE DÉMONSTRATION SURTOUT !
Au cours de l’épreuve française, que nous avons suivie — nous devons l’avouer — de loin lors des deux premières étapes, nous nous sommes réjouis de ses performances. La curiosité fut piquée en apprenant que le Grand Colombier serait le juge de paix du dernier acte. Grimpeur aguerri, révélé sur la Vuelta et vainqueur du Tour de l’Avenir, nous avons donc pris le temps de regarder la dernière étape depuis le pied du géant jurassien.
Cian et l’équipe Visma ont mis la machine en route dès les premières rampes. Alors qu’il restait encore 50 kilomètres à parcourir, notre compatriote a placé une accélération que seul Nicolas Prodhomme — vainqueur la veille devant Cian — a pu suivre. Mais cela n’a pas duré : l’allure et la force dégagées par le jeune Belge ont rapidement usé le maillot jaune. Une fois décroché, Prodhomme n’a fait que perdre du temps jusqu’à l’arrivée. Au final, il concède plus de 3 minutes à Uijtdebroeks !
Une démonstration que seuls certains routiers peuvent réaliser dans leur carrière. Je pense à des Pogacar, Evenepoel, Van der Poel, Van Aert et consorts. Bien sûr, il faut relativiser : il ne s’agissait « que » du Tour de l’Ain, pas du Tour de France ni d’une grande classique. Le plateau n’était évidemment pas le plus relevé possible.
Mais tout de même : des coureurs comme Jordan Jegat, 10e du dernier Tour, ou Nicolas Prodhomme, déjà victorieux à cinq reprises cette année, ne sont pas de « petits » noms. Preuve, s’il en est, que la victoire de Cian n’est pas dénuée de sens ni de saveur. Qui plus est, une première victoire professionnelle à 22 ans aura toujours une place particulière dans l’esprit d’un coureur.
POURQUOI CIAN PEUT… ET VA S’IMPOSER CHEZ VISMA !
Ben Tulett, Wilco Keldermann, Tijmen Graat, Tim Rex, Jorgen Nordhagen… et Cian Uijtdebroeks ! A-t-on trouvé la bonne formule magique chez Visma pour créer une équipe bis, capable de briller sur les courses à étapes et sur les Grands Tours où Jonas Vingegaard et sa garde rapprochée ne participent pas ? C’est bien possible !
Equipe bis ? Entendons-nous bien, rien de péjoratif dans ce terme, mais par contre on peut légitimement voir dans cette sélection le socle sur lequel l’équipe néerlandaise va pouvoir construire son futur sur les courses importantes du calendrier.
Wilco Kelderman, 34 ans, a joué un rôle prépondérant en tant que capitaine de route. Le choix de sélectionner un coureur avec une telle expérience était plutôt judicieux. On l’a vu à plusieurs moments clefs de l’épreuve prendre ses responsabilités pour remobiliser ses équipiers, notamment lors de la dernière étape où en début de course il a fallu se remobiliser pour revenir sur une échappée qui aurait pu faire basculer la course.
Tim Rex, 21 ans, qui a récemment signé un premier contrat professionnel de deux ans chez Visma, sera sans doute un fidèle lieutenant pour Cian comme l’a pu être Ilan van Wilder pour Remco chez Soudal Quickstep. Travailleur, protecteur et avec une bon niveau en montagne, Tim Rex nous fait penser à bien des égards à Tiesj Benoot.
Jorgen Nordgahen, 20 ans, est un jeune coureur norvégien sur lequel la Visma a logiquement jeté son dévolu. Vainqueur devant Pelizzari et Torres l’année dernière du Giro della Regione Friuli, il a malheureusement déçu les observateurs cette année sur le Giro Next Gen en ne terminant pas sur le podium de l’épreuve. Néanmoins, le potentiel est là pour réaliser de grandes choses. En attendant, il a prouvé lors de la dernière étape que travailler pour un autre leader n’était pas un problème et il a grandement participé au train infernal imprimé par la Visma pour décrocher un à un les adversaires de Cian au classement général.
Ben Tulett, 23 ans, 12e du Dauphiné, vainqueur de la Settimana Internazionale Coppi e Bartali cette année, est en pleine éclosion après une année 2024 chaotique. Si sur des grandes et longues ascensions il est logiquement moins à l’aise que Cian Uijtdebroeks, il pourrait sans aucun doute endosser le statut de leader et jouer le classement général sur d’autres courses. Nul doute que Cian lui renverrait l’ascenseur si l’occasion s’en faisait sentir. En outre, le fait d’avoir deux leaders potentiels dans l’équipe serait une arme tactique supplémentaire pour l’équipe.

GARDER LA TÊTE FROIDE
Il appartient désormais aux supporters et aux spécialistes de garder la tête froide. Si les écarts au classement général sont impressionnants, ne nous emballons pas trop vite. Évitons de porter Cian Uijtdebroeks aux nues de manière prématurée — ce qui ne ferait qu’ajouter une pression inutile à un coureur qui revient de loin.
Lui, mieux que quiconque, sait tout ce que ce retour a exigé. Le retour du « Jedi » Uijtdebroeks est le fruit d’un long travail, physique comme mental.
Laissons-le courir, savourons le plaisir de le revoir à un excellent niveau. Offrons-lui une fin de saison et un hiver tranquilles, avant d’anticiper — sereinement — ses futures victoires.
(Article écrit conjointement par Matthieu Henroteaux et Olivier Gilis)

Photos : Tour de l’Ain Officiel
