Beaucoup de coureurs professionnels signeraient des deux mains pour être au niveau de Wout van Aert durant ce printemps des classiques. Mais voilà, il s’agit de WVA, tout sauf un coureur lambda. A 100% de ses possibilités, deux classiques de plus seraient accrochées à son palmarès sans aucun doute possible ! Le facteur X ? Son sprint ! Après ses graves blessures au genou encourues lors de la Vuelta, on sent bien que le coureur du peuple est presque revenu au top en ce début d’année, mais le reverra-t-on encore avec une cape de fantastique ? Tentative d’explication avec Arnaud Cornet, diplômé en sciences de la motricité et préparateur physique spécialisé dans le vélo :
Bonjour Arnaud, même s’il y a eu des avis mitigés sur les performances de Wout van Aert, nous avons souligné au contraire qu’il était bien parti pour retrouver le haut niveau ! Quel est ton avis en tant que préparateur physique ?
Arnaud Cornet : Je lisais aussi les commentaires sur les réseaux sociaux et ceux de pseudo spécialistes dans les médias. Il y a bien entendu des commentaires de frustration que je peux comprendre, parce qu’il y a la déception qui est là, mais qui sont tout à fait irrationnels. Ensuite je lis beaucoup de commentaires sur sa préparation et le côté psychologique. Ils ne tiennent pas la route non plus…
Explique-nous alors en détail le processus que doit effectuer un coureur pro pour revenir à niveau après une blessure ?
A. C. : Au cours d’une préparation, on travaille par étages successifs, parce que les 2 choses qui font le plus progresser sont l’intensité et le volume de travail, mais elles entraînent une telle charge de travail et donc de fatigue qu’elles ne peuvent être travaillées de front.
En hiver on travaille le foncier et de la variété pour entretenir l’endurance fondamentale tout en rechargeant les batteries mentalement. On profite de cette période peu difficile pour travailler la force maximale avec 2 séances de musculation semaine, du gainage et des sprints pancartes pour l’explosivité dans le geste spécifique.

Son manque de punch vient-il d’un problème lors de cette phase ?
A. C. : Cela provient d’abord de la désadaptation importante due à sa phase de convalescence. On parle non seulement d’un arrêt de l’entraînement anormalement long pour un coureur professionnel mais aussi d’une période sans poser le pied et faire fonctionner le genou.
En outre durant cette période Wout n’a pas pu travailler cette force maximale à cause de son genou et cela se ressent dans ses sprints. Un Wout van Aert à son niveau ne se fait jamais battre par Nelson Powless, c’est certain !
Ensuite en début de préparation, on augmente progressivement la charge de travail en fréquence (jusque 2 x par jour) et en volume jusqu’à des charges très lourdes, jusqu’au 2 tiers de la préparation. De ce fait les entraînements ne peuvent pas être trop intenses. Cette étape qui construit l’endurance prend beaucoup plus de temps. Paradoxalement elle tient assez bien dans le temps avec une simple charge d’entretien.

On peut dire que cette phase s’est bien déroulée pour Wout van Aert ?
A. C. : Wout a bien fait ce travail. On le voit, plus c’est long plus l’écart apparent avec les autres cadors se réduit. Sa fin de course à Roubaix en témoigne.
Enfin, on finit par le rythme et l’intensité, avec des intervalles, du travail derrière moto et en course (Seuil, puis PMA, puis des efforts lactiques et alactiques). On fait alors moins de volume et on prend plus de récupération. Cela peut venir assez vite (3 semaines minimum quand même) mais cela part aussi très vite, raison pour laquelle on fait ça à la fin.
C’est donc ce qui manque pour l’instant à Wout ?
A. C. : Effectivement, il en manque encore un peu à Wout, on est trop court dans les délais…
Aurait-on pu commencer la préparation plus tôt alors ?
A. C. : Oui, on aurait pu démarrer 15 jours plus tôt… Mais NON parce que Wout serait arrivé crâmé !!!
En effet une bonne préparation c’est une déstabilisation de l’organisme suffisante pour provoquer des adaptations mais pas trop déstabilisante au risque de tomber dans le surentrainement et la fatigue, et ce à 3 niveaux : ni trop de volume ni trop peu, ni trop d’intensité ni trop peu, et, enfin, ni sur une trop courte durée ni sur une trop longue… et c’est là que le bas blesse :
Il y avait plus que le temps nécessaire pour une préparation complète mais pas pour deux cycles. Il n’était pas possible de prévoir un premier pic, une bonne semaine de repos et un 2e cycle vers un 2e pic de forme coïncidant avec les Flandriennes. Or c’est ce qu’il aurait fallu. Charger davantage Wout n’était pas possible, on ne pouvait pas aller plus vite que son organisme. Par rapport aux autres, à cause de sa convalescence, Wout partait de plus bas, et on ne pouvait pas le charger plus, tant que l’organisme ne donne pas les signes d’adaptation qui montrent qu’on peut passer à l’étape suivante.

On aurait pu arrêter le travail d’endurance un peu plus tôt pour équilibrer mieux avec l’intensité (dont on peut voir qu’elle fait davantage défaut) ?
A. C. : Oui si on ne considère que les Flandriennes…. NON si on prend en compte logiquement un retour au plus haut niveau en regardant la saison dans son ensemble.
En effet le premier cycle de la saison est toujours le plus long parce qu’il établit les fondations de la saison. Les cycles suivants ne recommenceront plus de zéro, ils s’appuieront sur le premier qui aura un impact toute la saison ! C’est pour ça qu’il ne faut pas céder à la panique, et prendre quand même le temps de bien faire les choses, au risque de foirer toute la saison.
Qu’on critique Visma pour ses priorités ou pour sa surutilisation de son couteau Suisse je le comprends, surtout de notre point de vue (un peu partisan lol). Mais il ne faut pas prendre son entraîneur Mathieu Hijboer pour un incompétent, c’est un entraineur expérimenté qui dispose de toutes les données des années d’entraînement de Wout, et qui peut s’appuyer sur une équipe scientifique qui est loin d’être nulle.
Quant aux déclarations en lien avec le psychologique, bien que je sorte de mon expertise, on très très loin du mec qui bâche, du gars qui lâche mentalement. N’oublions pas qu’avec ses moyens du moment, il doit aussi faire face à une pression très dure des média et des réseaux, surtout flamands. Sans se décourager, alors qu’on lui prédit la bérézina pour les 2 monuments et qu’il se voit perdre le contact avec des gars qu’il a déjà battu, on ne s’inflige pas une telle charge de travail sans y croire, au moins un peu. Il s’arrache jusqu’au bout pour la moindre place, bec et ongles, pour au final quand même faire 2 top 5 sur les monuments les plus durs de la planète cyclisme et face à 2 ogres générationnels.
Pour rassurer ses supporters, une victoire sur un monument est toujours envisageable dans l’avenir ?
A.C. : Je reste totalement persuadé qu’il va revenir à son meilleur niveau. La seule chose qui me fait douter qu’il gagnera encore un monument, c’est la redondance de certains faits : depuis trop longtemps on a une certaine dispersion entre ses objectifs et ceux de la visma grâce et à cause de sa polyvalence, plutôt que mettre tous ses atours dans le même panier. Sans oublier ses chutes en série depuis 2 ans et des errements tactiques d’équipe en classiques, pas flagrants, mais récurrents : le fameux « samen winnen » qui semble profiter à certains plus qu’à d’autres pour toutes sortes de raisons, Wout est souvent en one-team mais pas assez Team-one ! Mais je ne doute pas de l’homme ni physiquement ni psychologiquement.
Peut-on prendre en compte le délais de convalescence de l’année passée pour revoir un Wout à son meilleur niveau cette année ? Le Giro interviendra-t-il trop tôt ?
A.C. : Oui, en effet, on peut raisonnablement tabler sur la même durée que l’année dernière (où il revient au top pour les jeux et la Vuelta après sa chute du printemps) avant un retour à son meilleur niveau. Sa dernière blessure étant au genou, c’est plus embêtant pour les exercices musculaires mais ici, il a pu bénéficier d’un cycle de préparation complet.
On peut l’attendre à un haut niveau dès ce Giro et pour le Tour. Même si on n’aura pas encore l’état de grâce qu’il avait eu l’année de son maillot vert au tour. En effet, devoir enchaîner, classiques printanières, Giro et Tour, cela génère un certain niveau de fatigue, et il n’y a pas la place entre ces 3 phases pour un véritable repos et une remontée en puissance.
Mais je suis optimiste parce qu’on parle d’un coureur qui a une caisse incroyable. Et, par rapport à la réflexion de Rodrigo Beenkens qui voit en Wout un homme d’été plus que de printemps, je pense que cela ne soit pas seulement une question de saison : Wout est surtout un coureur qui est capable d’encaisser des grosses charges de travail, et qui a une récupération exceptionnelle en Grand Tour car il ne peut pas passer autant à l’économie que les petits gabarits. Ce qui explique qu’il soit si bon sur 3 semaines et qu’il se bonifie en cours de saison. Sans nouvelle chute et pépin de santé, il y a des grandes chances de revoir Wout encore au moins une fois dans l’état de grâce qui était le sien lors du tour 2022, et ce à partir de la saison prochaine.


