Pour vraiment comprendre la question posée dans le titre de l’article, il faut revenir sur le défunt Tour de Lombardie : Pogacar attaque et, d’un coup, le suspense s’envole. 15 secondes d’avance sur Evenepoel, puis 30 secondes, puis une minute, et ça continue de grandir. C’est à ce moment-là que sur Twitter, les afficionados du cyclisme se sont un peu agacés, et j’ai vu apparaître le tweet de Benji Naesen :
‘Milan-Sanremo était le meilleur Monument de 2024‘ (Ndlr : le plus excitant). Nous savons tous que lorsque quelqu’un dit cela, cela signifie généralement que les autres Monuments ont dû être très ennuyeux.
Mon petit cœur fan de cyclisme féminin m’a alors fait un peu mal car chez les Dames nous avons assisté à des courses incroyables cette année. Le Tour des Flandres, Paris-Roubaix et Liège-Bastogne-Liège ont été des batailles passionnantes et épiques ! C’était dès lors frustrant de voir les gens se plaindre que quasi tous les Monuments pouvaient être ennuyeux alors qu’il suffisait pour s’amuser de regarder les courses féminines ! Mais là encore, à quoi peut-on s’attendre si, selon l’UCI, il n’existe pas de Monuments officiels destinés aux femmes ?
Aujourd’hui, je vais vous présenter le dilemme des Monuments dans le cyclisme féminin : a-t-on besoin nous aussi de ‘Monuments’ chez les Dames ? Et si oui, allons-nous reprendre les mêmes courses que chez les Hommes ou allons-nous honorer notre propre histoire ?
Ci-dessous vous trouverez une analyse neutre, le point de vue du peloton féminin, l’opinion de des fans de cyclismes sur Twitter, et enfin mes propres réflexions. Bonne lecture !
Les Monuments du cyclisme féminin : une affaire compliquée
Il n’est pas nécessaire de tourner autour du pot : les Monuments du cyclisme féminin sont un sujet très complexe et controversé. Le premier défi consiste à définir ce qu’est exactement un monument.
Si vous demandez à ChatGPT voici sa réponse :
‘Les Monuments du cyclisme sont les courses d’un jour les plus prestigieuses et historiques du cyclisme professionnel masculin. Ils ont lieu depuis plus d’un siècle et symbolisent la riche tradition et l’héritage de ce sport. Connues pour leur difficulté et leur prestige compétitif, ces courses défient les coureurs avec des parcours exigeants et ont façonné l’histoire de ce sport.‘
‘Gagner un monument est considéré comme l’une des plus grandes réussites dans la carrière d’un cycliste, reflétant à la fois l’importance historique de la course et l’immense effort requis pour réussir.‘
Comme vous pouvez le constater, outre l’attention des fans et des médias et les efforts requis pour remporter un monument, l’importance historique est également cruciale pour l’établissement du titre de Monument.
Le problème ici est que malheureusement, le cyclisme féminin n’a pas bénéficié du même niveau d’importance que le cyclisme masculin. Ce qui rend presque impossible toute comparaison avec la longue histoire du cyclisme masculin.
Pour décider quelles courses méritent le titre de monument, il est essentiel de les examiner objectivement. Qu’est-ce qui a le plus d’importance : l’attention des médias et des fans ? ; la reconnaissance du nom ? ; ou l’héritage historique des courses ?
Si nous nous concentrons sur l’attention des médias et des fans ainsi que sur la reconnaissance du nom, nous arrivons rapidement à des courses comme Strade Bianche (2015), Tour des Flandres (2004), Paris-Roubaix Femmes (2021) et Liège-Bastogne-Liège (2017).
Comme vous pouvez le constater, ces courses n’existent pas depuis très longtemps, surtout si on les compare aux monuments masculins qui ont tous plus de 100 ans.
Pourtant, quand on regarde les courses historiques du cyclisme féminin, on retrouve le Trofeo Binda (1974), La Flèche Walonne Femmes (1998) et le Grand Prix de Plouay (1998)*. Même si celles-ci n’ont pas encore l’histoire des monuments masculins, elles ont joué un rôle important dans le développement du cyclisme féminin au plus haut niveau.
*Nouveau nom depuis cette année : Classic Lorient Agglomération – Trophée CERATIZIT
Perspectives du Peloton sur les monuments des femmes
Pour en faire un article complet et argumenté, j’ai demandé à quelques personnalités du monde du cyclisme leurs réflexions sur le thème des Monuments du cyclisme féminin. Tout comme les discussions en ligne entre fans, cela reste une question compliquée. Cependant, j’ai réussi à tout résumer pour vous.
Beaucoup pensent que des monuments existent déjà au sein du peloton féminin, bien qu’ils ne soient pas officiellement reconnus par l’UCI. Des courses comme le Tour des Flandres, Paris-Roubaix et Liège-Bastogne-Liège, qui se déroulent aux côtés de leurs homologues masculins, doivent être considérées comme des monuments en raison de leur prestige et de leur large couverture médiatique. Même si certaines de ces courses n’ont été créées que récemment dans le cyclisme féminin, elles sont bien organisées et professionnelles.
Le Trofeo Alfredo Binda, avec ses cinquante années d’histoire impressionnantes, mérite également d’être reconnu comme Monument, au même titre que les Strade Bianche et La Flèche Wallonne, qui attirent des concurrentes de haut niveau et sont des victoires très convoitées.
Même si la désignation de monuments est en grande partie une création de la communauté cycliste, obtenir la reconnaissance officielle de l’UCI n’est pour certains peut-être pas le plus important. Cependant, le fait d’avoir le statut de ‘Monument’ pourrait profiter aux courses plus anciennes qui risquent d’être éclipsées par des événements plus récents, contribuant ainsi à assurer leur pérennité dans le futur.
Contrairement aux coureurs, qui semblent pour la plupart indifférents à l’idée d’un statut de Monument officiel, les fans accordent au contraire beaucoup d’importance à ce sujet. Ce débat a suscité de nombreuses opinions au sein de la communauté cycliste, ce qui m’a amené à lancer un sondage sur Twitter pour mieux comprendre ces points de vue.
Cycling Twitter s’exprime sur les monuments des femmes
Nous avons examiné la question de manière objective et nous l’avons vu du point de vue des coureurs. Il est maintenant temps de considérer le point de vue des fans. C’est pourquoi j’ai décidé de lancer un sondage rapide sur Twitter. Et sans surprise, il n’y a toujours pas de conclusion claire.
Du premier sondage, on peut conclure que 68% des fans de cyclisme pensent que les monuments féminins existent déjà. Parmi eux, la majorité (55%) estime que les monuments des femmes sont les mêmes que ceux des hommes. Pendant ce temps, seulement 13% considèrent des courses comme le Trofeo Binda et Plouay comme des monuments féminins.
Le deuxième sondage demandait quelles courses, selon les fans, méritaient un titre de monument. Les résultats ont été serrés, les courses historiques et un mélange recevant tous deux environ 35 % des voix, tandis que reprendre les Monuments masculins suivait de près avec 28 %.
Réflexions finales sur le débat sur les monuments dans le cyclisme féminin
Pour conclure, la question des Monuments du cyclisme féminin est complexe, mais une chose est sûre : les courses féminines méritent leur propre reconnaissance. Plutôt que de refléter le calendrier masculin ou de nous limiter à l’histoire, un mélange de courses modernes et historiques conviendrait parfaitement. Après tout, les Monuments ont toujours été façonnés par la communauté cycliste, et c’est à nous de donner à ces courses incroyables la reconnaissance qu’elles méritent.
Si vous m’offriez le pouvoir de décision ultime, les Strade Bianche, le Tour des Flandres, le Trofeo Binda, Paris-Roubaix et Liège-Bastogne-Liège seraient les Monuments féminins !
Alors unissons-nous en tant que fans du cyclisme féminin ! Les Monuments sont bien plus que de l’histoire. Il s’agit d’être enthousiaste afin de donner permettre aux femmes de voir leur sport passer un échelon supérieur encore. Et après tout… qui a besoin de la sacro-sainte approbation de l’UCI ? 😉
(Saar de Reu)
Photos : © Kevin Remmerie – Paris-Roubaix 2024